Avant de commencer une fresque, je sais que je vais devoir faire une fresque, parce que je suis invité par un festival. Il y a un échange qui s’est fait avec les organisateurs. Il y a évidemment toute une mise en place technique, qui n’est cependant pas très lourde. Si ce n’est pas trop loin de chez moi, j’amène tout le matériel : couleur, papier, table à roulette, éclairage. Si c’est très loin de chez moi, style Californie, je suis obligé de dire aux organisateurs que je ne peux pas prendre cela dans l’avion et qu’il faudra qu’ils trouvent le rouleau de papier, l’éclairage, etc. Là il y a déjà toute une mise en place technique. Ce n’est en général jamais un problème. Ensuite, vient évidemment le problème de l’idée. Je demande presque toujours aux organisateurs s’ils ont un souhait, s’ils veulent que j’intègre dans le dessin quelque chose qui caractérise leur manifestation. Je l’ai fait par exemple à Buc, le weekend passé, où ils fêtaient l’anniversaire du festival. C’était le 30e je crois. Je leur ai demandé s’il y avait un thème qui était mis en avant, par exemple le western ou les fables, ou si s’était tourné vers l’enfant. J’essaie alors de travailler autour de ce sujet car cela m’aide aussi à me renouveler, à me donner des contraintes et à devoir chercher une idée autour de cela. Il y a mille manières d’aborder le dessin. Cela permet aux organisateurs d’avoir par la suite, à travers un grand dessin fait spécialement pour eux, une image qu’ils peuvent réutiliser et qui va exprimer leur identité. Et j’adore ça. Évidemment, cela ne suffit pas pour faire un dessin. Il faut ensuite que je cherche dans mes désirs profonds. Et comme je suis tout le temps occupé avec des animaux, avec des documents, avec des visites dans des zoos, j’ai assez souvent des sujets latents qui me chipotent. Je veux par exemple faire un truc autour des éléphants, et en explorer l’anatomie. Je commence par me demander ce que je pourrais faire si je faisais une fresque uniquement sur les éléphants. Puis j’élabore en me demandant ce qui pourrait se passer avec ces éléphants qu’on n’aurait pas encore vu, ce qui peut être intéressant, amusant, dynamique, ce qui peut amener des trucs waouh. Je cherche le waouh. C’est de la performance. Si je fais des éléphants, je ne vais pas faire 5 éléphants qui sont comme sur des photos en Tanzanie, sur leurs pattes, en train de manger. Cela n’a évidemment aucun intérêt. Donc il faut que je les fasse bouger, qu’il y en ait un qui glisse sur une savonnette, ou qui sont en train de paniquer devant une peluche en forme de souris. J’improvise là. Ce n’est pas un exemple qui a été fait. Cela pourrait être le démarrage d’une fresque. Et donc dans mes désirs, il y a souvent un teint qui se dégage. J’essaie aussi de toujours tenir compte du fait qu’avec les animaux, le grand public a envie de voir des grands animaux spectaculaires : les félins, les éléphants, les zèbres, les girafes, les ours. Ce sont les animaux vedettes que l’on voit la plupart du temps dans les grands zoos. Et on sait très bien que dans les documentaires animaliers, ce sont aussi ceux-là qu’on a envie de retrouver. Ils sont aussi très jouissifs à dessiner. Mais j’essaie aussi d’amener d’autres espèces beaucoup moins évidentes dans un second temps, parce qu’elles sont très amusantes à dessiner aussi. J’adore coincer un gnou quelque part, parce qu’un gnou c’est quelque chose de très différent, très bizarre, très expressif. Ce n’est pas un animal auquel on pense à priori, mais une fois qu’il est dedans, à côté des autres vedettes, il joue son rôle. Et comme cela, de fresque en fresque, je peux explorer toute une gamme d’animaux qu’on n’a pas l’habitude de voir et qu’il faut que je continue à travailler, pour moi personnellement pour avancer, pour faire des bêtes que je n’ai pas encore pu explorer, pour faire un truc anatomique où je dois encore préciser des choses, apprendre. Il faut savoir que dans la vie, je fais très peu de croquis. Je ne suis pas un dessinateur compulsif qui a besoin de dessiner du matin au soir. Je fais plein de trucs dans la vie qui ne sont pas du dessin. Je profite donc de ces moments, style fresque ou dédicace ou autres, pour m’exercer, pour faire mes gammes, pour explorer des trucs. Quand on est sur une planche, on est tout le temps coincé par la nécessité d’une histoire et on a très peu l’occasion de se dire : « tiens, la patte arrière du zèbre, il faudrait que je la revoie un peu car je ne sais plus très bien comment cela fonctionne ». Dans une planche, cela ne va pas se faire sauf s’il y a un zèbre qui passe. Par contre sur une fresque, il y a moyen. Et à ce moment-là, je prends avec moi sur le salon, quelques documents choisis sur les zèbres. J’ai une étagère remplie d’images présélectionnées, qui sont des images pour moi intéressantes. Ce sont des images qui montrent des animaux, des parties d’animaux ou des groupes d’animaux d’une manière originale, intéressante, bizarre, expressive, où il y a quelque chose, une lumière, un volume incroyable, où il y a un truc original. La veille d’aller sur une fresque, je vais dans ce rayonnage et je vais picorer. Je vais chercher quelques images qui vont m’inspirer. Cela peut m’inspirer sur une attitude, sur une ombre, un poil, peu importe. Je pars sur quelque chose et ce quelque chose qui arrive dans la fresque me pousse à improviser, et en même temps à composer et trouver des nouvelles idées. C’est comme cela que je construis ma fresque sur le festival. C’est rare que j’arrive sur un festival en sachant déjà ce que je vais faire entièrement. C’est extrêmement rare. Je l’ai fait un petit peu aux États-Unis, parce que là, il ne fallait pas trop que je déconne. Sur les 3 jours j’avais tellement d’autres moments de présence, sur des tables rondes, des rencontres avec d’autres dessinateurs. Les moments de travail étaient assez réduits et je devais aller très vite. J’avais peu de temps de recul. Il fallait donc que je sache où j’allais. Là, j’ai un petit peu préparé. Mais c’est à nouveau plus préparé dans les intentions que vraiment sur le dessin lui-même. J’avais aussi une tablette avec plein d’images que je pouvais consulter de manière très rapide, ce que j’ai continué à faire depuis car c’est plus pratique que de consulter des bouquins. Cela pèse aussi moins lourd dans l’avion quand je me déplace. Voilà, tout ça ce sont des petits trucs, des points d’appuis pour moi mais qui ne sont jamais des choses certaines. Le moment où je commence est toujours un moment très pointu, très intense. Ce que je fais aussi maintenant, c’est de préparer des petits textes. Quand j’ai une envie, une thématique, j’ai une sorte d’écriture automatique autour de cette envie et je vois si je peux introduire ce texte dans la fresque. J’essaie alors de donner aux dessins une profondeur, un sens grâce au texte. C’est un sens qui est plus poétique ou symbolique que descriptif. Je ne raconte pas une histoire. Je donne une profondeur de sens. C’est aussi une manière de donner à la fresque beaucoup plus de pérennité, c’est-à-dire qu’on peut se lasser d’un dessin après un certain temps, surtout si c’est un dessin qui a été fait vite. Les fresques avant tout c’est une performance, ce n’est pas quelque chose qui est fait pour rester. Et cela même s’il y a cette ambiguïté maintenant, puisqu’on me demande de plus en plus de remontrer ces fresques dans des expositions, parfois de les acheter, et de les montrer dans des lieux publics. Pourtant au départ ce sont bien des performances faites dans le présent pour le présent. Alors, c’est piégeux de faire cela dans le geste, dans l’intensité et puis de voir que le truc va rester au mur pendant 20 ans dans un lieu public. Amener du texte fait que cela donne une cohérence. Cela permet de faire des relectures plus nombreuses et peut-être de lui donner une plus longue vie que sans texte. Cela rejoint aussi le monde de la BD, monde dans lequel texte et image se rencontrent. Je suis plus à ma place dans un festival de BD avec une fresque texte-image qu’avec une image uniquement. Et cela me permet aussi, je pense, de continuer à évoluer, parce que ce rapport peut être exploré de plein de manières différentes et on verra bien ce que cela va donner.
Je suppose qu’il est difficile de se lancer dans un tel dessin devant le public sans une préparation initiale. Quelle est ta manière de procéder ? Comment choisis-tu le sujet de tes fresques ? Est-ce que le lieu et l’évènement influent sur cela ?
par arthur156 | Déc 12, 2020 | Festival BD et Fresque | 0 commentaires
Commentaires récents