C’est un projet ambitieux et qui fout un peu la trouille. Aborder un “Spirou par”, cela veut dire comme tout le monde s’en doute, mettre ses pas dans le sillage des grands maîtres et forcément être comparé. Le lecteur va se demander : « Pourquoi il en fait un ? Qu’est-ce qu’il apporte de pertinent ? » En fait, quand j’ai décidé de faire un Spirou par, c’était une envie qui traînait dans la tête depuis très longtemps. L’envie de nouveau, le déclic est venu de deux choses : d’abord effectivement apporter une pierre personnelle à cet univers, par le biais du cirque, des animaux. Mon Spirou par a aussi une dimension plus ésotérique. La deuxième raison était de participer à ce grand jeu collectif qui dépasse les Spirou par et qui est Spirou chez Dupuis. J’entends là une réflexion qui comprend aussi la série nominale, la vraie série Spirou et Fantasio, parce que je trouve que depuis l’arrêt de Franquin, il y a eu des expériences un peu malheureuses, ou en tout cas on a l’impression que l’on s’est perdu en cours de route. Et là j’avais aussi quelque chose à apporter et à dire. Ces deux aspects du travail sur mon Spirou n’ont pas été évidents pour tout le monde, en tout cas chez Dupuis. Il est pourtant clair que les Spirou par ont beaucoup apporté au débat de Spirou et Fantasio, la série nominale. Cependant, pour des raisons obscures et que je ne m’explique toujours pas, le mien n’a pas participé à ce débat-là. Il y aurait des anecdotes à raconter. C’est très étonnant de voir que Dupuis n’a pas l’air de considérer la suite des aventures de Spirou et Fantasio comme quelque chose qui est de leur réflexion à eux, en tant qu’éditeur. En tout cas, c’est mon expérience, ils n’ont pas l’air de vouloir mettre dans cette réflexion les auteurs, ou peut-être juste les auteurs qui assume la série nominale. A plusieurs reprises, j’ai fait la proposition chez Dupuis de faire des réunions plus ou moins formelles, ou même complètement informelles, pour réunir les auteurs qui avaient travaillé sur Spirou et voir un petit peu ce qui se dégagent comme idées, comme tendances, comme envies. Parce que il y a un problème. Déjà, le fait que Dupuis ait décidé d’arrêter, au moins pour un temps, la série nominale montre bien qu’il y a un vrai problème puisqu’ils arrêtent le personnage principal de toute leur maison d’édition, leur icône et le symbole de leur journal. C’est hallucinant, après autant d’années. Quand j’ai proposé de faire cela, à plusieurs reprises, j’ai reçu un accueil vraiment plus que glacial, que je ne m’explique pas. Pourtant je ne les ai pas déçus. Ils aiment bien mon bouquin. Est-ce qu’ils ont peur de cette rencontre entre auteurs qui ne seraient pas d’accord ? Là, parfois, je peux sentir et même comprendre cela de la part d’un éditeur qui devrait gérer des égos un peu trop envahissants, qui ne s’entendraient pas entre eux. Cependant, en tant qu’auteur pratiquant beaucoup les salons, ayant beaucoup de relations amicales avec plein d’auteurs, et notamment les auteurs qui ont fait Spirou et Fantasio, je peux affirmer haut et fort que même si on n’est pas toujours d’accord, loin s’en faut, on a des relations amicales et de respect. Nous sommes capables de dialoguer, de débattre et cela m’étonnerait que cela tourne au vinaigre. C’est peut-être un fantasme plus d’éditeur que d’auteur. Je ne sais pas, peut-être que l’éditeur veut garder son pouvoir sur la série. Si c’est vraiment cela, c’est un peu dommage. Par exemple, une chose qui m’étonne beaucoup, c’est que de tous les auteurs qui travaillent sur Spirou, il y en a quand même quelques-uns qui ne sont pas mis au courant par la maison d’édition de ce que font les copains. Quand Emmanuel Bravo, Yoann et Velhmann sortent un Spirou, Dupuis ne m’envoie pas l’album. C’est quand même assez étonnant. À la place de Dupuis, je serais heureux d’avoir une communauté d’auteurs, une sorte de dream team, avec les meilleurs qu’ils ont choisis ponctuellement, de manière très drastique, pour les mettre ensemble et écouter ce qu’ils ont à dire. Et apparemment, cela ne marche pas. Voilà des grands mystères auxquels je ne peux pas donner d’explications. Pourtant, mes relations avec Dupuis sont très bonnes, cordiales, et je ne sens pas d’ombre au tableau. C’est très incompréhensible pour moi. De plus, il y a des enjeux commerciaux importants avec Spirou et Fantasio. Par exemple, ils ouvrent un parc d’attraction Spirou et Fantasio, dans le sud de la France. Je sais que ce n’est qu’une question de revente de droit. Dupuis n’a pas vraiment participé à la conception de ce parc. Je trouve cela de nouveau bizarre parce qu’ils savent très bien que je travaille sur l’Animalium, que je suis à la base d’un parc d’attraction en soi. Il s’agit peut-être d’une toute autre thématique mais enfin je suis dans ce business-là. Je suis en train de monter tout le bazar. J’ai travaillé sur Spirou et personne ne pense à m’appeler dans ce cadre-là. C’est assez étrange. Ce n’est pas que je veuille me placer. Je n’ai pas le temps de faire cela, mais de nouveau je ne m’explique pas pourquoi il n’y a pas cette dynamique Spirou du côté des auteurs. Et tout ce cafouillage autour du personnage finalement, c’est peut-être ce que Dupuis mérite quand on se comporte de manière aussi déconnectée. Voilà un grand point d’interrogation dessiné par Franquin, avec un ressort en dessous et un grand point qui monte.