Quand je suis sur ma fresque, je tourne le dos au public mais je sens ce qu’il y a dans mon dos comme tous les gens qui sont sur scène. Je suis hyper concentré sur mon dessin et en même temps? j’entends tout ce qui se dit. J’adore surtout quand ce sont des enfants qui parlent à leurs parents : « Oh, regarde c’est beau, c’est beau ! », ou qui essaient de voir ce que fait l’éléphant ou « pourquoi il court par là ? ». Le fait qu’ils rentrent dans l’image, qu’ils s’arrêtent, qu’ils dégainent leur smartphone pour faire plein de photos, qu’ils viennent vers moi pour me féliciter ou me poser des questions, j’aime beaucoup cette démarche. Cependant, il faut savoir qu’une fois sur deux, j’adore qu’il vienne me dire cela, et l’autre fois sur deux je déteste car je suis en train de faire un truc difficile et il ne faut surtout pas me déconcentrer. Apparemment, dans le public il y a plein de gens qui ne se rendent pas compte que dessiner comme cela ça demande une grande concentration, et que l’on ne peut pas être interrompu n’importe quand. J’ai dû apprendre que cela faisait partie de l’exercice. C’est mon choix aussi d’être le plus près possible des gens pour que l’image que je suis en train de faire devant eux soit la plus physique, la plus proche possible d’eux pour qu’ils se rendent compte de la dimension, de la vie, de l’énergie, du geste. Cela j’y tiens beaucoup. Je suis donc proche et ils peuvent venir me parler et m’interrompre, mais parfois je peux être très sec. J’espère qu’ils me comprennent, qu’ils me pardonnent car je ne peux pas répondre tout en dessinant. Il y a des moments où c’est tout simplement impossible. Le retour du public est extrêmement positif et chaleureux. Je l’ai encore vécu à Buc. C’est une vraie merveille. Cela rencontre exactement ce que je voulais faire en sortant de la dédicace. Je me rappelle, que j’adorais faire ce show de dessin dans les bouquins et de voir les sourires des personnes en face de moi, devant mon geste, devant la magie, la virtuosité du dessin. J’adorais cela mais il y avait toujours l’ambiguïté de voir ce grand sourire car ce dessin, il était pour lui, il emportait ce dessin dans sa bibliothèque. Il y a ce sentiment de « c’est à moi et ce n’est rien qu’à moi. » Le côté possessif m’intéresse beaucoup moins, même si je peux le comprendre. Ce n’est pas cela que j’essaie de nourrir. Par contre quand je suis sur ma fresque et que je continue à voir ses yeux émerveillés, ses grands sourires, c’est comme si je reconnectais quelque chose chez les gens. Il y a le merveilleux dans le sens poétique, dans le sens où je confirme quelque chose que les gens ont en eux mais qu’ils ont un peu oublié, qui est un peu occulté. C’est toujours le cas avec la poésie quand elle est bonne. Elle fait du bien et les gens ont oublié que c’est bien la poésie. Mais quand on leur en sert et qu’ils en profitent vraiment, leurs cœurs s’ouvrent et cela est merveilleux. Si notre rôle consiste à faire cela, c’est le meilleur que l’on puisse faire dans notre métier. C’est ce que j’essaie de faire avec mes bouquins : mettre un peu de poésie, un peu d’humanité, un peu d’humour, ce cocktail que Zidrou, Bonifay et Bom manient tellement bien. Quelle chance j’ai eu de travailler avec ces gens ! C’est pour moi la meilleure chose que l’on puisse apporter aux autres parce qu’elle nourrit le cœur. Elle nourrit la vie en nous et nous conforte dans nos meilleures aspirations profondes et nous permet de nous reconstruire, d’évoluer, alors que tant de choses vont dans l’autre sens, dans le sens de la tristesse, du renoncement, de la désillusion, de l’amertume, enfin tout ce que le monde actuel peut nous apporter à chaque bulletin d’informations, en relatant les actualités.