Avoir des étapes dans un projet comme celui-là est une notion essentielle. Moi, en tant que bédéiste créatif, j’ai l’habitude d’avoir une idée, d’élaborer cette idée, de la jeter sur papier et puis cela devient très vite concret : on va chez l’éditeur et cela devient un projet. C’est un parcours très simple. Comment est-ce que l’on crée un parc animalier en plus avec 0 € dans sa poche ? Je l’ignorais totalement et j’avais beau avoir un pied dans le monde professionnel des zoos, je ne savais pas comment commencer et comment faire ce parcours. Puis j’ai rencontré un personnage clé dans ce projet qui s’appelle Jonas Livet, d’une boîte qui s’appelle Fox. Le métier de Jonas est d’aider les parcs dans toutes les étapes de leur développement, depuis leur création jusqu’à tous les problèmes qu’ils peuvent avoir à résoudre après. Il a travaillé par exemple sur la sécurité de la cage des lions au zoo de Vincennes quand il a été refait. C’est quelque chose de très ponctuel mais qui doit être fait à un moment. Il faut des experts pour faire cela et cette expertise est extrêmement large. Cela va de la finance, de la biologie des animaux, de la technique des cages, de la construction des bâtiments, de la gestion du personnel, de la hiérarchie et du personnel à engager au niveau d’un parc animalier. C’est extrêmement large et c’est lui qui m’a éduqué sur les étapes à suivre pour créer un parc animalier. En gros, ce sont les mêmes étapes que pour créer une grosse entreprise, mais c’est quand même très spécial. Il faut d’abord un projet bien clair, donc un travail conceptuel et cela n’est pas rien. Parce qu’ici, c’est un projet original, il fallait que ce concept soit bien exploré, sans ambiguïté, bien exprimé et bien communicable. Il y a eu des mois de travail sur ce travail conceptuel. Cela commence par une exploration. Il fallait déterminer tout ce que j’avais envie de faire dans cet Animalium, ou de ne pas faire, où se situent les limites. Il s’agit d’être précis, de formuler les objectifs correctement. C’est très important parce que ce sont des choses qui vont rester pendant tout le parcours comme des indicateurs. C’est la boussole qui montre le Nord. Donc un travail conceptuel, des choses que j’ai faites avec certains mais que j’ai dû finaliser tout seul parce que c’est ma vision des choses. J’aime bien le mot “vision” parce qu’il veut dire que cela vient d’on ne sait où, très profondément en soi, comme une sorte d’inspiration. Cela remonte des tripes, des racines de la terre vers l’instinct, le cœur et la tête. Tout ce travail c’est déjà faire le chemin entre l’envie et ce que l’on ressent, vers quelque chose qui est formulé avec les bons mots, justes, précis et communicables. C’est une première étape que j’ai assumée et que j’ai terminée il y a quatre mois et demi. La deuxième étape, c’est de faire circuler ce travail conceptuel. Il faut faire un premier tour avec les partenaires potentiels, d’abord dans l’équipe évidemment, mais aussi dans tout ce qui est administratif. Il faut par exemple voir comment la commune réagit à ce projet. En ce qui concerne le propriétaire du terrain, on a eu la chance d’en avoir un de très impliqué dans le projet, qui est devenu un véritable bras droit pour moi. Il faut voir aussi tous les gens impliqués dans la propriété de ce terrain : les ayants droits, les frères et sœurs, tous ces gens-là ont leur mot à dire. Il faut aussi prendre en compte les voisins, la commune, la ville, la province de Namur. Ce sont tous des gens qu’on a rencontré. On a été trouver Maxime Prévost, le bourgmestre de Namur. Lors d’un repas, nous lui avons présenté l’Animalium et recueilli ses réactions, afin de savoir comment il envisage une collaboration, quelles portes il peut nous ouvrir. Ce sont des questions très importantes à ce stade. Cela nous a permis de trouver de nouvelles personnes à intégrer dans l’équipe, par exemple, un architecte formidable, un scénographe, un paysagiste, que l’on n’avait pas encore et qui sont très précieux. L’étape suivante, c’est l’étude de faisabilité. Là, le gros point d’interrogation, c’était : qui va faire cette étude ? parce qu’il fallait trouver un organisme qui comprenne bien le projet, qui aille dans le bon sens et qui a tous les atouts professionnels pour le faire. Il fallait quelqu’un qui soit à l’aise avec le tourisme, avec l’animalier, avec l’international, parce qu’on a quand même un appel sur la France, le Luxembourg et l’Allemagne. Il fallait donc plusieurs qualités qui n’étaient pas évidentes à trouver en Belgique, parce que la Belgique est un petit pays et il n’y a pas assez de travail touristique à faire par les experts. On a dû aller en France, où on a pu trouver des gens qui avaient un pied en Belgique. C’est comme cela que cela s’est passé. Finalement, après beaucoup de recherches, on a trouvé la bonne personne et cette personne y travaille actuellement. Dans le courant de son travail, on va intervenir pour préciser le projet et notamment dans cette étape fondamentale qu’est le calcul financier, pour pouvoir évaluer la rentabilité et la viabilité du projet. Il faut savoir budgétiser. Et si on veut savoir combien coûte le projet, il faut le définir exactement. Déjà physiquement, il faut savoir quels bâtiments on va construire pour déterminer leur coûts. Est-ce que l’on fait de faux rochers pour un endroit ? Quel type de jardin va-t-on créer ? En paysager ou plutôt sauvage ? En fonction de ces décisions, les coûts différeront. Il faut donc définir la budgétisation et in fine la rentabilité. Dans cette étape-là, on doit aussi décider des frais de fonctionnement, quel personnel on va devoir engager, combien de personnes en haute saison et combien pour les animations. Ce sont des choses importantes à ce stade-là. Et bien entendu, il y a le travail de l’architecte pour définir les bâtiments. On n’est pas encore dans la phase ultime, on ne va pas faire des plans, mais on va décider de toutes les fonctions et faire des prix au mètre carré. C’est déjà assez ardu comme cela. Pareil pour la scénographie et bien entendu le choix des animaux, puisque garder une panthère ce n’est pas la même chose que garder un kangourou. Cela coûte beaucoup plus cher. Tout est entremêlé. Ce qu’on va montrer dans la partie artistique va définir les animaux que l’on veut montrer en relation avec cela. C’est sûr que si je décide d’ouvrir une section sur les félins, j’aurai besoin d’une cage adaptée à leurs besoins. Une fois qu’on aura terminé cette étape de l’étude de faisabilité, il y a aussi le benchmarking du projet par rapport à toutes les autres offres touristiques en Belgique, et même à l’étranger dans un certain rayon d’action. Le benchmarking est important parce que cela nous permet, avec notre définition de projet, d’être comparé aux autres projets et d’apprendre de leur histoire et de leur succès et difficultés financiers. Cela doit être fait de manière très précise. Il ne suffit pas de dire « au fait Pairi Daiza, ben c’est aussi un parc animalier. Cela marche du tonnerre donc nous aussi on va marcher du tonnerre. » C’est beaucoup plus compliqué que cela bien entendu. On peut probablement apprendre des choses de Pairi Daiza, mais d’une manière fine. On doit comparer à d’autres histoires de plus petits parcs, la façon dont ils ont commencé, s’ils offrent d’autres propositions plus artistiques. On a inclus par exemple dans notre benchmarking la Maison de la Pataphonie qui est bien sûr un lieu où l’on fait de la musique, mais c’est aussi un musée d’instruments. C’est donc en même temps une proposition qui est active et passive. Il y a donc certainement des choses à étudier là-dedans. Revenons à mon étude de faisabilité, avec ce gros document plein de chiffres, on va pouvoir aller voir des investisseurs et c’est bien entendu une étape fondamentale, où l’on va devoir trouver des millions d’euros. On va parler avec des professionnels qui ne se la racontent pas. Ce sont des gens qui calculent, qui ont des coups de cœur mais qui parlent argent et Dieu sait si le monde de l’argent est un monde tendu pour l’instant. Dans notre étape civilisationnelle, néolibérale, tout le monde veut de l’argent. Tout le monde veut faire son projet. Tout le monde veut de la rentabilité et trouver son chemin là-dedans n’est pas évident. Et là, je suis évidemment aidé par des professionnels dont le métier est de trouver des financements. Pour cette étape-là, c’est difficile d’évaluer le temps que cela va prendre puisqu’il y aura probablement plusieurs investisseurs. Cela m’étonnerait beaucoup qu’un seul puisse fournir tout le montant nécessaire et j’ignore combien de temps nous allons devoir chercher. Dès que l’on a un début d’investissement, on peut lancer les démarches administratives et là de nouveau le temps que cela va prendre est difficile à évaluer puisque dans ces démarches il y a toute une série d’études imposées, des choses que l’on n’imagine pas. Par exemple, vu que sur le terrain se trouve un petit cours d’eau, il va falloir faire toute une étude des zones inondables. Il y a une étude qu’il faut faire parce qu’il y a des rochers calcaires. On n’est pas loin d’une zone Natura 2000,  il faudra donc faire une étude d’impact. Si on développe des bâtiments, c’est une suite sans fin de choses imposées, qui prennent du temps, qui doivent être faites par des professionnels que l’on doit trouver et qui coûtent de l’argent. On doit aussi trouver cet argent via des aides ou des investisseurs, et là c’est un gros travail de coulisses qui est difficile à évaluer. Au bout de ce long chemin compliqué, nous serons prêts, avec toutes les autorisations, le travail d’architecte, les gens pour faire aboutir le projet et l’argent. Une fois ces conditions remplies, on pourra débuter le projet. Les démarches administratives dureront entre un an et un an et demi. Ensuite, on pourra commencer à construire. La construction elle-même, ainsi que l’aménagement, dureront également un an et un an et demi. Tout cela au minimum donc je pense qu’on ne pourra pas ouvrir avant trois ou quatre ans, ce qui est encore acceptable pour moi parce que je ne me leurre pas trop, j’ai 62 ans. Il faut du temps pour lancer le projet et le faire mûrir, car ce n’est pas tout d’ouvrir les portes. C’est un bébé tout rose et qui doit être confronté à la vie, qui doit attirer les visiteurs. On dit toujours qu’il faut 10 ans pour qu’un projet trouve sa vraie existence, son vrai profil. Cela m’amène plus ou moins à 75 ans. C’est le bon timing. A ce moment-là, je serai prêt à transmettre au suivant, à trouver les gens qui vont continuer mon rôle avec un peu plus d’énergie que je n’en aurai à cet âge-là. Cela aussi m’intéresse, de créer quelque chose tout en ayant déjà une réflexion sur la transmission. Cela veut dire que je dois être très clair avec eux sur ce que je veux faire et cela doit être transmissible. La réflexion sur le projet doit être la même. En plus des étapes que je viens de décrire, il y aura aussi des étapes sur la communication vis-à-vis du public. Le crowdfunding a été le tout premier moment où j’ai communiqué vers l’extérieur. Il y a déjà eu un peu de presse, des gens proches ou intéressés ont pu prendre connaissance du projet. Il y aura d’autres moments comme celui-là, notamment une grosse exposition chez Huberty Breyne. On va faire dans cette énorme galerie une présentation du projet la plus poussée possible, une communication vis-à-vis de la presse pour déjà annoncer les choses à venir et une exposition-vente dans l’esprit de l’Animalium. Lors de cette exposition, toute une série d’auteurs vont travailler sur l’animalier, vendre et montrer un avant-goût de ce que sera le projet. Mais cette grosse expo ne pourra être fixée que quand on verra clair dans le planning et qu’on pourra dire que plus ou moins dans un an on va ouvrir les portes. Le faire trop tôt ne serait pas bien parce qu’ on oublierait. Le faire trop tard évidemment, serait un peu dommage. Il faut laisser mûrir les choses dans la tête des gens. Il y aura encore d’autres moments de plus en plus proches de l’ouverture où l’on va communiquer et faire exister le projet le plus possible pour qu’au moment de l’ouverture les gens soient prêts à venir. C’est très important. Le parc Spirou, pour parler de ce sujet, a connu une ouverture très chaotique parce qu’une date d’ouverture avait été fixée et quand ils ont ouvert à la presse, les attractions n’étaient pas prêtes. A peine ouverts, ils ont dû fermer. Le public n’a donc pas pu y aller et cela a fait un cafouillage très malheureux. Je n’imagine pas faire cela avec un parc animalier. On ne peut pas non plus se permettre à l’heure actuelle de faire ce que Pairi Daiza a fait en son temps. C’est-à-dire que bien qu’ils avaient un très beau site, l’offre était très maigre, quelques cages à oiseaux seulement. Le succès y est venu très lentement, au fur et à mesure de l’ajout des attractions. Nous, on doit avoir d’emblée une offre qui tienne la route et qui soit convaincante parce qu’on a un nouveau concept. Et si le concept n’est pas clair, si ce n’est pas convaincant et excitant, on aura perdu le match. Il faut vraiment que dès le début cela soit fort et attractif.Une chose très excitante aussi est le chemin que je suis en train de faire. En explorant ce concept de l’Animalium, je suis allé à la rencontre et à la découverte de tout ce qui a été fait en art animalier, ce que je ne connaissais pas, ce que je connaissais un tout petit peu. Maintenant que je sais que je peux donner un écho à cet art-là, un art à part entière, de la même manière que les marines, les nus, les portraits qui sont des arts en peinture qui existent pour eux-mêmes. L’art animalier est aussi quelque chose qui existe pour soi-même, mais qui n’a jamais été reconnu comme domaine unique. Nulle part on a un musée d’art animalier. À Londres, il existe bien un musée du portrait. Il existe bien des musées des peintures de la Marine. L’idée est de montrer l’art animalier comme une pratique en soi. Et cette exploration m’amène aussi à d’autres choses très excitantes, non seulement dans l’histoire de l’art ou des médias ou des cultures anciennes mais aussi évidemment auprès d’artistes vivants et travaillant à l’heure actuelle. Par exemple, quand en 2017 j’ai été invité à Hollywood pour y faire une performance, une expérience fabuleuse que je vais revivre en 2018, j’ai eu l’occasion de rencontrer tous ces énormes dessinateurs qui travaillent pour les grands studios des dessins animés (Disney, Pixar, Warner,…) auxquels j’ai pu présenter mon projet et qui m’ont renvoyé un enthousiasme et une envie de participation formidable. Cette accueil-là me conforte dans l’idée que c’est un bon projet. Cela me donne aussi des gages car quand les investisseurs entendent que les Américains de Burbank sont enthousiastes à propos du projet, cela leur donne un peu de confiance. Il y a de réalisateurs de films que tout le monde a vus (Ratatouille, Brother Bear). Il y a aussi la dessinatrice qui a fait tous les monstres pour Star Wars. Ce sont des gens immenses, qui sont très actifs et qui donc ont promis de participer à l’Animalium.