Quand j’ai commencé les fresques, cela a été un peu expérimental, évidemment. Je ne me rendais pas du tout compte que j’étais en train de mettre en place quelque chose qui allait perdurer et qui allait m’apporter beaucoup de plaisir et d’intérêt. La première fois que j’ai vraiment fait ça, c’était au festival d’Andenne. Je pense que j’habitais déjà Andenne à l’époque. Ce sont des copains qui organisent ce festival-là et qui m’ont proposé de faire quelque chose où je m’éclaterais, mais où en même temps ce serait un truc que je n’aurais jamais fait auparavant. Ils m’ont dit : « Vas-y, fais un truc dingue. Nous, on te suit ». En festival, je prenais déjà beaucoup de plaisir à dessiner de plus en plus grand dans les portfolios que j’ouvrais. Cela débordait vraiment de la dédicace. Je me suis dit alors : « Allons-y, faisons des animaux en grand ! » et je leur ai demandé de recouvrir la salle polyvalente d’Andenne avec une bande de papier assez haute. Ça partait de l’entrée de la salle, et faisait 2 murs et demi de longueur, soit 17 mètres de long, si je me rappelle bien. Je me suis lancé dès le samedi matin. J’ai commencé avec des animaux qui courraient de gauche à droite et j’ai réussi à couvrir tous les panneaux avec des animaux en couleur. Le dimanche soir j’avais quasi fini. Le lundi matin, j’ai dû revenir pour terminer. Comme c’est un festival qui tire le diable par la queue, on avait décidé de vendre les panneaux en partie au profit du festival, et cela a très bien marché. Cela a été fait aux enchères et toutes les pièces sont parties. On s’est dit « waouh ! Il y a quelque chose qui s’est passé, les gens ont adoré. » Moi j’ai adoré faire ça, les organisateurs aussi. C’était aussi intéressant pour moi parce que en faisant ça, j’échappais aux dédicaces. J’en avais royalement marre d’en faire parce que j’avais fait le tour de la question. J’en fais depuis très longtemps, au moins 25 ans. J’ai tout essayé. J’ai tout fait. J’ai investi beaucoup là-dedans. J’ai donné, j’ai été généreux comme on peut l’être dans ces cas-là. Et je voulais faire autre chose. Je suis très sensible au fait de donner des choses aux gens et surtout de donner le plaisir du dessin aux gens. Pour moi l’intérêt de la dédicace, c’est le dessin en train de se faire devant les gens. Et là, le passage se faisait très naturellement de la dédicace au grand format. Ce don-là restait intact. J’ai donc décidé de continuer cela. La seconde possibilité s’est présentée à Blois. Le festival avait demandé à Christian Antoine de monter une exposition autour de Zoo, et il a proposé que je fasse une fresque. Et là, pour la première fois, je l’ai fait officiellement, comme une commande, comme une vraie animation payée. La pression montait car je savais que là, je devais terminer pour le dimanche soir. Je ne savais pas du tout où j’allais et j’ai improvisé comme la première fois. J’avais remarqué que le stress et l’adrénaline m’amenaient une grande concentration et m’amenaient à faire des choses que je n’aurais jamais été capable de faire autrement. Chez moi, dans le calme de mon atelier, jamais je ne dessinerais comme ça. Et donc re-stress, bien présent, parce que là, pour changer un peu la donne, j’avais décidé de faire courir les animaux de droite à gauche et non plus de gauche à droite. Et ça, je ne m’en étais pas rendu compte, c’est beaucoup moins naturel. En fait en BD, on a l’habitude de donner le sens général des choses en mouvement dans le sens de la lecture, c’est-à-dire ils vont de gauche à droite. À Blois, j’ai fait le contraire. Pendant ma mise en place j’ai vraiment calé, parce que cela n’allait vraiment pas du tout. Je n’arrivais pas à faire courir les animaux dans ce sens-là, parce que quand on dessine en grand l’implication dans l’énergie du dessin est beaucoup plus grande que quand c’est en petit. Et comme je devais déployer beaucoup d’énergie pour aller de droite à gauche, je ne m’en sortais pas. Un moment j’ai pété un plomb. J’ai déposé mes crayons par terre et je suis parti me balader pendant 1h dans la ville pour me refroidir le cerveau. Et heureusement, car quand je suis revenu, j’ai pu continuer. Il y a quelque chose qui s’est débloqué. En fait, il y a des étapes à franchir et ce n’est pas toujours facile. Depuis, d’expérience en expérience, de salon en salon, je me suis aguerri. J’ai appris les choses à faire ou à ne pas faire, les pièges dans lesquels ne pas tomber, comment malgré tout, continuer même si on ne sait pas si on n’est pas trop sûr de soi. Bref, en quelques sorte je suis devenu petit à petit, au fil des ans, un pro de la fresque. Et maintenant que tout cela est bien en place, c’est un plaisir pur parce que le stress n’est plus du tout de la même nature. Je n’ai plus peur. Ce sont des moments très intenses mais je n’ai plus peur. Et j’adore ces moments de démarrage parce que ce sont des moments très créatifs, très intenses où je vais construire une image sur des mètres et des mètres carrés. Cela a quelque chose de magnifique. Cette magie je la ressens très intensément. Ce qui est formidable, c’est que la magie est partagée par les gens qui me regardent. J’hésite à dire qu’ils me regardent parce que ce n’est pas moi qu’ils regardent. Je veux qu’ils regardent le dessin, mais pas moi. La vraie vedette, c’est le dessin. Ce n’est pas le dessinateur. Le dessinateur c’est la main qui dessine, c’est le geste, c’est la couleur, c’est le pinceau. Cela ne m’intéresse absolument pas d’être sur scène. Je ne suis pas un comédien. Je ne suis pas un homme de spectacle. Je ne suis pas quelqu’un qui est dans la représentation. Pour moi la vedette, c’est le dessin lui-même. Où c’est le fait de dessiner, de donner aux gens par le dessin. Je suis dans le dessin, les gens sont dans le dessin et cela fonctionne à merveille. Cela a continué à fonctionner année après année. Je ne sais pas combien j’en ai fait. Je devrais compter. J’en ai fait beaucoup quand même et dans des conditions parfois très différentes. Parfois, c’était des salons très populaires. Parfois, c’était devant très peu de gens et où j’avais la paix pour dessiner. Je pense à la grande fresque aux grottes de Han où j’ai explosé mes formats. C’était 23 ou 24 m sur 2.5m, avec un système de panneaux qui pivotaient sur un axe. C’était assez sophistiqué. Là ,c’était l’expérience de l’extrême. Après ces 4 jours, j’étais vraiment épuisé. Parfois on est aussi dans un contexte hyper professionnel, comme à Burbank en Californie où j’ai dessiné devant les plus grands dessinateurs de studios américains qui passaient dans mon dos et faisaient des remarques. C’est très impressionnant. Il ne faut pas trop réfléchir et ne pas se coincer pour des fausses raisons de modestie, car cela ne pardonnerait pas. Je suis là dans un contrat professionnel puisque je suis payé pour faire cela, pour faire une animation. Cela s’est passé en 2017. Le résultat a été formidable, puisque les commentaires étaient particulièrement positifs et que les organisateurs m’ont acheté le résultat, ce qui n’est pas souvent le cas. Ils m’ont également réinvité en 2018 pour faire la même chose. Là, je me dis que c’est que je touche un truc qui vaut la peine, qui a du sens et qui apporte du plaisir, de l’excitation, probablement quelque chose d’un peu original et où je suis à ma place. Si je n’étais pas à ma place, je le sentirais et les gens le sentiraient. C’est plutôt le contraire qui se passe. Voilà pourquoi je vais finalement continuer à faire des fresques et prendre du plaisir jusqu’au moment où j’aurais fait le tour de la question, comme pour les dédicaces, et où je chercherai une nouvelle idée pour mettre le dessin en scène. Le dessin en tant que show est vraiment un truc qui m’intéresse et que j’essaierai peut-être jour de mettre dans un spectacle alors différent, plus construit, plus répété comme un vrai spectacle comme peuvent le faire des acrobates de cirque, des musiciens, des hommes de théâtre, peu importe. Avec le dessin on est plutôt dans la ligue d’impro ou du one-man-show improvisé. Ce n’est pas du spectacle monté et préparé d’avance.
Sur ton site internet, on voit que tu as fait ta première fresque en 2005 devant le public. Quel a été le déclencheur de cette activité ?
par arthur156 | Déc 12, 2020 | Festival BD et Fresque | 0 commentaires
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